Coup de jeune sur les SuperPhoniques ! Pour la première fois en 26 années d’existence et de façon tout à fait fortuite, la sélection se distingue cette année par sa jeunesse et son homogénéité générationnelle. Au-delà de ce hasard, peut-être pas si anecdotique, cette nouvelle sélection est marquée par la présence notable de pièces électroacoustiques ou mixtes, et le grand retour de la voix sous toutes ses formes, qu’elle soit chantée, parlée, murmurée, criée, soliste ou double, enregistrée, montée et retravaillée numériquement. Soulignons également la participation de plusieurs pièces pour instrument soliste, objet d’exploration technique comme d’un jeu avec l’électronique. Car il est question de jeu dans cette sélection, au regard du profil des compositeur·rice·s dont la qualité d’interprètes nourrit le langage et la pratique, et interroge les liens qu’entretiennent l’improvisation et la composition mais aussi les rapports de l’humanité avec la machine. Rencontre, mariage ou hybridation ? Doit-on frémir, s’en réjouir ou en rire ?
Au-delà des questions formelles et philosophiques, cette sélection est aussi un voyage, que cela soit vers des pays lointains, au cœur d’environnements naturels en danger, de rêves éveillés ou de mondes imaginaires en plein dérèglement. Des voyages intérieurs où le recueillement, la contemplation et l’attention au monde sonore dans toute sa diversité tissent des liens symboliques entre les pièces en lice. Cette sélection 2025 apparaît ainsi comme une invitation à plonger dans un bain de sons et des mille façons d’en jouer. Une invitation à augmenter son écoute, pour mieux rêver.
Le Comité de sélection des SuperPhoniques 2025 s’est réuni le jeudi 5 septembre 2024 dans les locaux de la Maison de la Musique Contemporaine. Il était composé de :
Textes d'Adèle Aschehoug
Œuvre sélectionnée : L’eau à la source, pièce électroacoustique
Durée : 9’56
Année de composition : 2024
Création : 18 mai 2024 à Saint-Nazaire par Sarah Clénet
Commanditaire : Athénor - Scène Nomade, Centre National de Création Musicale
Enregistrement : 2024, Athénor - Scène Nomade, Centre National de Création Musicale, Saint-Nazaire
Interprètes de l’enregistrement : Sarah Clénet
Diffusion : 5 juin 2024, SoundCloud - Sarah Clénet
L’eau à la source est une pièce électroacoustique composée par Sarah Clénet qui s’inspire de paysages de marais. Elle est construite comme un voyage, un scénario ou un rêve que chaque auditeur·rice peut inventer et imaginer à sa manière lors de l’écoute.
Les différents sons utilisés dans cette pièce ont tous été enregistrés avant d’être transformés et superposés en studio. La plupart d’entre eux ont été captés dans les marais de Brière, en Loire-Atlantique. On distingue des sons d’animaux (différents cris ou chants d’oiseaux, aboiements de chiens, bruits d’insectes), des sons aquatiques (eau mouvante, cascade, pluie, bulles) et des sons instrumentaux (contrebasse, cymbales). Ces différents types de sons permettent, une fois retravaillés, de recréer l’univers mouvant et vivant des marais. Aux deux tiers de la pièce on distingue des voix, qui sont un hommage à une tribu pygmée rencontrée par Sarah Clénet au Congo.
Le travail sur l’intensité et la superposition de ces différents sons donne l’impression de s’approcher, de s’éloigner et de naviguer dans un paysage sonore. La compositrice crée ainsi un lien entre son et espace qui, s’ajoutant au traitement stéréophonique, nous immerge totalement dans l’univers aquatique de la pièce. La compositrice a aussi travaillé sur l’idée de reflet dans l’eau, et a inventé ce que pourraient être les reflets d’un son. Les arts poétiques et la philosophie sont aussi une grande source d’inspiration pour Sarah Clénet, qui décrit cette pièce comme le « développement des idées poétiques d’un paysage d’eau ».
Née à Angers, Sarah Clénet aborde la musique par la pratique du violon et de la contrebasse qu’elle étudie aux Conservatoires de Nantes, Tourcoing et Roubaix. Elle s’intéresse ensuite à l’improvisation qui l’amène dans l’univers de la musique contemporaine et de la musique électroacoustique.
Dans sa pratique de composition, Sarah Clénet compose des œuvres instrumentales et vocales, électroacoustiques, radiophoniques, et conçoit aussi des installations sonores. Elle mène également des projets à la croisée des disciplines artistiques avec la danse, la vidéo ou le théâtre, ainsi que des actions pédagogiques, comme au Centre National de Création Musicale Athénor - Scène nomade à Saint-Nazaire, où a été créée sa pièce L’eau à la source.
Dans son œuvre, Sarah Clénet célèbre le son pour lui-même. Elle mêle étroitement écriture poétique et paroles recueillies, matière bruitiste et électronique mobilisant des expériences intimes, sensorielles et mentales : le voyage comme aventure, la relation à l’autre comme richesse, la poésie comme art du quotidien.
Artiste éclectique, Sarah Clénet est aussi improvisatrice et performeuse, notamment au sein du duo Fatrassons créé en 2009. Elle explore le spectre de sa voix, travaille sur les multiples timbres de la contrebasse et développe une nouvelle gestuelle pour son instrument.
Œuvre sélectionnée : Hip Hop Algorithm, pour batteries, platines, vinyles, clavier, alto, trompette et électronique
Durée : 10’
Année de composition : 2015
Création : 13 novembre 2015 à la Gaîté Lyrique, Paris
Commanditaire : Impulse !
Enregistrement : 2017, Radio France – France Musique, Paris
Interprètes de l’enregistrement : Ensemble LINKS - Stan Delannoy (batterie), Vincent Martin (batterie), Rémi Durupt (platines), Trami Nguyen (clavier), Elodie Gaudet (alto), Vianney Desplantes (saxhom)
Partition : Inédite
Diffusion : 26 juin 2024, SoundCloud – Laurent Durupt (version intégrale)
Inspirée d’une rencontre imprévue du compositeur Laurent Durupt avec le rappeur JoeyStarr, Hip Hop Algorithm mélange différentes esthétiques musicales. Cette diversité se retrouve notamment dans l’instrumentarium composé d’instruments acoustiques : un violon alto, une trompette, deux batteries ; et d’instruments électroniques : un clavier, deux platines vinyles ainsi qu’un traitement électronique en temps réel. Le turntablism, c’est-à-dire l’art de créer de la musique avec des platines et des disques vinyles, est typique du hip-hop et se mêle à des instruments d’univers classique, jazz et électronique.
Le premier mouvement, Intro, présente une musique planante dans laquelle le DJ fait entendre les craquements de platines en marche, sans disque. Les instrumentistes utilisent de nombreux modes de jeux : des ronds avec l’archet pour l’alto, des balais pour les batteries, des bruits de souffle pour l’alto et la trompette, etc.
Le titre du deuxième mouvement, Beatmakers, fait référence aux musicien·ne·s qui composent des « prods » dans la musique hip-hop. On y entend un rythme d’abord régulier qui se transforme peu à peu, un jeu de questions-réponses entre les batteries et les platines vinyles, et une mélodie grave et lente à l’alto, puis à la trompette.
Enfin, le troisième mouvement, Ghostwriters, renvoie aux parolier·e·s qui écrivent dans l’ombre pour d’autres artistes. Le compositeur fait alors intervenir une voix enregistrée mise en boucle, qui crée des illusions sonores et gomme le sens des mots.
Né à Nancy, Laurent Durupt est pianiste de formation. Il étudie la composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris et complète son cursus en musique contemporaine de 2011 à 2013 à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) jusqu’à devenir pensionnaire de la Villa Médicis – Académie de France à Rome de 2013 à 2014.
Laurent Durupt trouve son inspiration autant dans les musiques électroniques les plus pointues qu’auprès de personnalités dont les pratiques s’inscrivent aussi bien dans la tradition musicale classique que dans des disciplines artistiques innovantes. Il cultive des projets atypiques, s’adapte aux contraintes imposées et se renouvelle sans cesse, replaçant l’expérience au centre de la création musicale. Les effectifs qu’il imagine dans ses pièces sont divers et éclectiques. Il compose pour voix, ensemble acoustique, dispositif électronique en temps réel ou fixé, pour dispositif radiophonique et pour la scène. Il intègre aussi des instruments d’autres genres musicaux comme les platines vinyles ou la boîte à rythme que l’on retrouve dans Hip Hop Algorithm.
Aujourd’hui, Laurent Durupt forme avec son frère Rémi, percussionniste, le duo Links, ainsi que l’ensemble Links réunissant des artistes visuel·le·s (photographes, réalisateur·rice·s, scénographes) et des musicien·ne·s engagé·e·s dans la création, l’improvisation ou la composition. Il enseigne également le piano au Conservatoire du XIVe arrondissement de Paris et la composition électronique au Conservatoire à Rayonnement Régional de Créteil.
Œuvre sélectionnée : TTy, pour grand tam-tam solo (extraits)
Durée : 10’
Année de composition : 2011
Création : 7 juin 2011, Théâtre du Petit Miroir, Paris, par Tsuey-Ying Tai
Enregistrement : 2020
Interprète de l’enregistrement : David Joignaux, percussioniste
Partition : Maison ONA
Diffusion : 2024, Bagatelles, sous le label NEOS, soutenu par la Maison de la Musique Contemporaine et France & National Culture and Arts Foundation, Taiwan
La pièce TTy est composée pour un instrument soliste : le grand tam-tam. C’est un instrument à percussion en métal originaire d’Asie de l’Est, qui ressemble à un gong, mais qui n’émet pas de hauteur de son déterminée.
Cette œuvre, construite autant pour l’écoute que pour le regard, est fondée sur le rapport entre ce que l’on voit (les gestes de l’interprète qui joue) et ce que l’on entend (le son créé par ses gestes). Le mouvement et le son sont mis en jeu de manière égale et unis dans un seul et même souffle. Lin-Ni Liao parle d’« une recherche sur l’équilibre entre le gestuel visuel (physique) et le gestuel auditif (musical) ».
TTy est composée de cinq bagatelles, des petites œuvres courtes et légères, qui mettent chacune en valeur un ou plusieurs sons de l’instrument. La compositrice fait varier le son grâce à différents ustensiles pour mettre l’instrument en résonance : des balais, une mailloche, ou encore le pied de l’interprète. Elle fait aussi varier les temps de résonance (de très long à très court) et les endroits d’impact sur le tam-tam (le centre, la tranche, etc.). Au total, onze points d’impacts différents sont possibles durant toute l’œuvre, permettant de créer du mouvement.
Les bagatelles peuvent être interprétées dans n’importe quel ordre, indépendamment les unes des autres, ou même pour accompagner une autre musique, une chorégraphie ou des textes.
Lin-Ni Liao décrit sa musique comme « la porte ouverte de la maison pour que d’autres puissent entrer et partager », invitant toute personne à prendre part à sa démarche artistique.
L'intégralité de cette pièce a fait l'objet d'une captation en milieu naturel.
Née à Taipei (Taïwan), Lin Ni-Liao est pianiste de formation. Elle étudie la composition à la National Taiwan Normal University où elle obtient son diplôme en 2000. Elle s’établit ensuite en France où elle se forme et perfectionne sa connaissance de la culture française auprès de nombreux·euses compositeur·rice·s et pédagogues à la Sorbonne. Elle obtient un Diplôme d'études approfondies (DEA) pour son mémoire sur La pensée musicale d’Edith Lejet en 2009 puis en 2015, un Doctorat pour sa thèse intitulée Héritage culturel et pensée moderne – les compositeurs taïwanais de musique contemporaine formés à l’étranger. Elle écrit par ailleurs de nombreux articles sur l’analyse musicale et l’identité culturelle.
Lin-Ni Liao compose dans une recherche de fusion musicale et philosophique entre le temps et l’espace, entre la gestuelle physique et musicale, entre le visuel et l’auditif. Elle compose principalement pour musique de chambre.
Douée de synesthésie, Lin-Ni Liao perçoit les sons comme des lumières d’intensités différentes. Cette sensibilité l’amène à suggérer dans sa musique des jeux d’ombres et de lumières. La poésie est aussi une source d’inspiration pour elle. L’univers contemplatif et visuel de TTy en est une illustration. Lin-Ni Liao est directrice artistique de TPMC (Tout Pour la Musique Contemporaine), association qui promeut la musique contemporaine par une approche interdisciplinaire et interculturelle avec un regard croisé entre l’Extrême-Orient et l’Occident.
Œuvre sélectionnée : La Tondeuse à Gazon, pour mezzo-soprano et ensemble
Durée : 10’
Année de composition : 2024
Création : 30 avril 2024 à La Seine Musicale, Paris, par Isabel Soccoja, (mezzo-soprano) et l’ensemble Sillages sous la direction de Gonzalo Bustos
Commanditaire : Radio France
Enregistrement : 2024, Radio France – France Musique, Paris
Interprètes de l’enregistrement : Isabel Soccoja (mezzo-soprano) et l’ensemble Sillages sous la direction de Gonzalo Bustos
Partition : Inédite
Diffusion : 10 juin 2024, Création Mondiale, France Musique (version intégrale)
La Tondeuse à Gazon, écrite pour mezzo-soprano et ensemble par Vincent Portes, est une pièce composée à partir de modes d’emploi de tondeuses à gazon. Les titres des quatre mouvements font chacun référence à un chapitre spécifique du mode d’emploi : Consignes de sécurité - Assemblage/Montage - Instructions d’utilisation - Pannes et entretien. Le décalage créé entre le texte choisi, qui de prime abord ne semble pas fait pour être chanté, et le travail poétique de l’écriture musicale, donnent un côté humoristique et absurde à cette musique.
Le compositeur s’inspire des outils et techniques de l’électronique qu’il retranscrit instrumentalement. On redécouvre l’univers sonore des machines et des moteurs électriques, grâce à l’utilisation d’instruments exclusivement acoustiques.
Pour reproduire cet univers mécanique tout en le rendant poétique et musical, Vincent Portes utilise de nombreux modes de jeux : des chuchotements et du parlé/chanté à la voix, du souffle à la flûte et au saxophone, et même une harpe et un piano préparés (avec des objets placés sur leurs cordes pour modifier les sons). Le compositeur utilise aussi des quarts de tons, qui permettent des glissements presque continus entre les notes et qui peuvent être associés au bruit d’un moteur qui démarre ou s’arrête. Dans le troisième mouvement, un rythme régulier et obstiné s’installe, évoquant la régularité de la machine, tandis que la chanteuse imite dans le quatrième mouvement le bruit de la tondeuse à gazon.
Né à Montpellier, Vincent Portes est pianiste de formation. Il étudie la composition électroacoustique, instrumentale et vocale au Conservatoire de Toulouse puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon où il obtient un Master de composition. Il complète son parcours par le cursus de composition et d’informatique musicale à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam).
Vincent Portes compose essentiellement de la musique mixte, instrumentale et vocale, pour des effectifs de chambre. Inspirée par la musique spectrale, son œuvre dévoile un sens aiguisé de la couleur et des mélanges de timbres. Fasciné par la musique électroacoustique, il fait intervenir des outils électroniques dans son écriture instrumentale et diversifie ses manières de travailler l’aspect sonore de ses compositions par différentes techniques, au moyen de logiciels.
Il expérimente également la relation entre le visuel et le sonore. La représentation graphique du son lui permet de concevoir le matériau de ses pièces et de le développer visuellement, avant de le fixer sur une partition ou sur un séquenceur. La forme de chacune de ses pièces est basée sur l’exploration d’un objet sonore et de ses facettes, avec une attention portée à la plasticité du temps et la pulsation. Son catalogue comporte des titres prosaïques et révèle un univers « déjanté », proche de l’esprit des surréalistes et dans lequel le quotidien devient poétique. Nous pouvons retrouver cet esprit de dérision dans La Tondeuse à Gazon.
Vincent Portes reçoit des commandes d’œuvres de divers ensembles et structures musicales comme Radio France, commanditaire de La Tondeuse à Gazon.
Œuvre sélectionnée : N34, pour soprano, ténor, flûte, clarinette, piano, violon, alto et violoncelle
Durée : 10’
Année de composition : 2023
Création : 22 mai 2023, Studio 104 – Radio France, Paris, par Dania El Zein (soprano), Benjamin Woh (ténor), Javier Rodriguez (flûte), Antoine Cambruzzi (clarinette), Camille Phelep, (piano), Apolline Kirklar (violon), Marina Capstick (alto), Rafael Cumont-Vioque (violoncelle), dirigés par Léo Margue
Commanditaire : Radio France
Enregistrement : 2023, Radio France, Paris
Interprètes de l’enregistrement : par Dania El Zein (soprano), Benjamin Woh (ténor), Javier Rodriguez (flûte), Antoine Cambruzzi (clarinette), Camille Phelep, (piano), Apolline Kirklar (violon), Marina Capstick (alto), Rafael Cumont-Vioque (violoncelle), sous la direction de Léo Margue
Partition : Inédite
Diffusion : 1er octobre 2023, Création Mondiale, France Musique (version intégrale)
N34 est la trente-quatrième œuvre composée par Elisabeth Angot. Cette pièce pour deux voix (soprano et ténor) et six instruments (violon, alto, violoncelle, flûte, clarinette et piano) est écrite dans un caractère doux et recueilli. Le tempo lent, les lignes mélodiques simples et l'harmonie presque immobile provoquent une sensation de sérénité, tandis que les grands intervalles mélodiques rendent l'œuvre envoûtante et contemplative. La compositrice écrit d'ailleurs au début de sa partition « intérieur, qui vient de très loin, comme une prière », comme indication pour les musicien·ne·s.
Cette pièce a pour particularité d'être une œuvre de musique vocale sans texte, contrairement à la majorité des pièces de ce genre. La soprano et le ténor chantent sur différentes voyelles et consonnes choisies ensemble, sans qu'elles ne suggèrent de sens. La voix chantée est utilisée comme un instrument, seulement pour son timbre, sans qu'il n'y ait de réelle signification. Pour la compositrice, la musique est déjà porteuse de sens en elle-même, elle n'a pas besoin de texte pour transmettre une émotion.
Les cinq mouvements qui composent N34 s'enchainent, et la matière sonore se transforme lentement, passant d'un état à un autre, imperceptiblement. Les deux voix forment une unité, elles se complètent en permanence et créent un·e soliste à deux têtes. Ce·tte soliste alterne entre se démarquer des instruments et se fondre dans leurs sons. L'utilisation des quarts de tons permet alors aux voix et aux instruments de créer une seule et même matière sonore.
Née à Paris dans une famille d’artistes, Elisabeth Angot commence la musique par la pratique du piano. Elle se tourne ensuite vers la composition électroacoustique et vers la composition instrumentale et vocale au Conservatoire d’Aulnay-sous-Bois. Elle poursuit sa formation à l’Universität der Künste de Berlin où elle obtient un Bachelor puis un Master de composition en 2018 avec un mémoire sur l’opéra Giordano Bruno de Francesco Filidei.
Elisabeth Angot compose des œuvres instrumentales et vocales pour des effectifs allant du solo au petit ensemble. Attirée par une forme de simplicité, elle conçoit des pièces brèves et utilise peu de matériaux musicaux. Elle déploie cependant une large palette de couleurs créant des contrastes, des motifs changeants et des combinaisons multiples. Elisabeth Angot s’intéresse à la dimension véritablement abstraite de la musique et son inspiration est purement musicale. Ainsi, dans les parties vocales, elle recourt à des phonèmes et non à des textes, travaillant d’avantage sur l’agencement des timbres. Cette même abstraction se reflète dans son catalogue qui ne comporte pas de titres mais uniquement des numéros, comme en témoignent ces pièces qu’elle nomme N1, N2...et N34. Cette volonté de retourner à l’essentiel du son se retrouve dans N34 où les timbres des instruments et des voix se fondent les uns dans les autres, sans phonème, ni texte.
Elle créé en 2019 l’Ensemble 44, un ensemble vocal et instrumental dont le répertoire s’étend de la musique ancienne à la musique contemporaine, en passant par les musiques traditionnelles, improvisées et le jazz. Avec son ensemble, à partir de 2023, elle instaure la Saison Contemporaine en Avignon, dont la programmation mensuelle comporte des concerts, conférences et activités d’éducation artistique et culturelle.
Œuvre sélectionnée : Le rêve éveillé (extraits : Au cœur du son, Des voix sur une chaise et Coda), pour saxophone alto, électronique traitée en temps réel et bande sonore
Durée : 8’51
Année de composition : 2023
Création : 1er février 2023, Centre hospitalier Théophile Roussel, Montesson
Commanditaire : Tournesol - Artistes à l’hôpital
Enregistrement : 2023, Studio BirdLand (Elles et O Records), Villa Médicis - Académie de France à Rome
Interprète de l’enregistrement : Rémi Fox
Partition : Inédite
Diffusion : 2024, Le rêve éveillé, sous le label Elles et O Records – Distribution Kuroneko, soutenu par Tournesol - Artistes à l’hôpital, la Maison de la Musique Contemporaine, la SACEM, la Fondation Musique et Radio de Radio France et Adami
Au cœur du son, Des voix sur une chaise et Coda font partie du premier tableau de l'album Le rêve éveillé du compositeur et saxophoniste Rémi Fox.
Composés pour saxophone alto, bande sonore et traitement électronique en temps réel, ces trois mouvements sont directement inspirés par les travaux et écrits du compositeur Giacinto Scelsi. La phrase de Scelsi, « Il faut aller au cœur du son », donne son titre au premier mouvement, et est au cœur de la recherche artistique du compositeur.
La composition se base sur trois types de matériaux sonores : du saxophone acoustique, des enregistrements (de voix notamment), des effets électroniques et du saxophone acoustique. Les voix enregistrées de Giacinto Scelsi, du chanteur Thom Yorke, du cinéaste Jean-Luc Godard, entre autres, créent des conversations imaginaires dans différentes langues. La superposition des voix brouille la compréhension des mots, les voix deviennent alors seulement des sons et perdent leur sens. Le traitement électronique permet au compositeur de transformer les sons du saxophone en temps réel et de créer de nouvelles sonorités. Il utilise aussi des modes de jeux tels que des bruits de clefs. Rémi Fox fait intervenir l'improvisation au saxophone dans son processus de création. Il s'enregistre pendant qu'il improvise, comme le faisait Scelsi, et crée ensuite un lien entre l'improvisation et la composition. L’œuvre mêle donc musique écrite et musique improvisée.
Un clip d'animation a été réalisé sur le premier mouvement, apportant une dimension visuelle et vivante à l'œuvre.
Né à Thionville, Rémi Fox est saxophoniste, compositeur et improvisateur. Il étudie le saxophone ainsi que le jazz au Conservatoire de Metz, puis au Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris, où il suit aussi les cours d’improvisation générative et de musique indienne.
Rémi Fox élabore des projets singuliers et interdisciplinaires au sein desquels l’expérimentation et la recherche de formes nouvelles tiennent une place importante. Animé par une volonté de décloisonnement des genres et des esthétiques, il confronte sa musique avec d’autres formes artistiques : théâtre, danse, cinéma, arts visuels et numériques. Co-fondateur du Collectif Loo réunissant des artistes chercheur·euse·s, Rémi Fox s’associe aussi à des musicien·ne·s issu·e·s des scènes contemporaine, jazz, improvisée et électronique européennes. Il développe son travail durant des résidences de création et de transmission artistiques à la Cité Musicale de Metz, aux Ateliers Médicis, à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), au Cirque Électrique, avec l’association Tournesol – Artistes à l’Hôpital et à la Villa Médicis – Académie de France à Rome. Son approche vise à créer un lien entre une « écriture éphémère » (l’improvisation) et une « écriture durable » (la composition). Son premier album solo, Le rêve éveillé, d’où provient l’ensemble des extraits présentés en sélection, suit d’ailleurs cette approche.
Intéressé par la transmission, Rémi Fox conçoit des interactions culturelles pour divers publics autour de l’improvisation, de la pratique collective et de la création électroacoustique. Il est également professeur de jazz et musiques improvisées au Conservatoire de Boulogne et professeur d’improvisation et création musicale au Pôle Supérieur d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt.
Œuvre sélectionnée : Étude d’illusion 1, pour vibraphone et électronique
Durée : 10’
Année de composition : 2017
Création : 27 mai 2017, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon, Salle Varèse, Lyon, par Hsin-Hsuan Wu
Commanditaire : Société Générale
Enregistrement : 2022, Sello Modular
Interprète de l’enregistrement : Olivier Maurel (HANATSUmiroir)
Partition : Note en Bulle édition
Diffusion : 2023, Musicas Extremas, sous le label Sello Modular, soutenu par le Fonds pour la musique du Chili, la Haute école des Arts du Rhin et l’Ensemble HANASTUmiroir
Composée pour vibraphone et électronique, Étude d'illusion 1 est une œuvre mixte de Matías Rosales. Le compositeur s'appuie sur l'idée que le temps métronomique (la régularité du tic- tac, d’une horloge ou d’un métronome) n'est qu'une illusion, qui ne peut être réalisée que par une machine.
Le compositeur a utilisé un algorithme sur le logiciel Max/MSP pour créer une variété de matières sonores. Cette pièce est composée à partir d'un matériau musical de base, une note répétée régulièrement qui va subir de nombreuses transformations : de timbres, de hauteurs et de rythmes.
L'électronique permet de colorer le timbre du vibraphone, produisant différents résultats sonores au fil de l'œuvre.
Les hauteurs évoluent de manière discontinue au vibraphone (note par note) et de manière continue dans le dispositif électronique (par glissement). D'abord simplement orné, le matériau de départ se modifie jusqu'à créer l'illusion d'un contrepoint à plusieurs voix dans la partie centrale, comme le faisait Jean-Sébastien Bach.
Le compositeur travaille aussi sur une variation rythmique : accélérations, ralentis, ou encore superpositions de différents tempi entre l'électronique et le vibraphone. La régularité rythmique du matériau de base se transforme petit à petit en irrégularité.
L'électronique vient modifier et brouiller les sons du vibraphone, engendrant des illusions sonores.
À travers la dualité entre électronique et interprète, le compositeur oppose le temps métronomique, celui des machines, au temps psychologique, ressenti par les humain·e·s.
Né à Talca, au Chili, Matías Rosales étudie d’abord la clarinette puis le saxophone et la guitare basse électrique avec lesquels il se produit dans divers ensembles de jazz, ska et punk. À l’Université Catholique de Santiago au Chili, il découvre la musique contemporaine et se forme à la composition et aux nouvelles technologies. Très intéressé par la musique spectrale de Gérard Grisey et Tristan Murail ainsi que par le formalisme, les structures claires et l’énergie de la musique de Iannis Xenakis, il approfondit ses connaissances en France, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Lyon. Il obtient par la suite un master en composition instrumentale et vocale. Depuis 2020, Matías Rosales est doctorant à l’Université de Strasbourg et mène ses recherches sur les différentes méthodes utilisées pour créer de la musique, ainsi que sur la spontanéité dans la création musicale.
Matías Rosales analyse les sons produits par de simples gestes musicaux et les transforme en une infinité de possibilités sonores. Il explore les rythmes ainsi que la confusion auditive entre instruments et électronique, entre objets sonores réels et irréels, dans une musique pleine d’énergie et de textures complexes, allant parfois jusqu’à la saturation sonore. Ses propositions musicales évoluent selon ses échanges avec les interprètes qui lui permettent de repousser les limites de l’écriture instrumentale. Son catalogue comporte de la musique orchestrale, de la musique de chambre, des compositions électroacoustiques ou mixtes comme Étude d’illusion 1, ainsi que des œuvres avec vidéos interactives en temps réel et des jeux de lumière.
Œuvre sélectionnée : A man in his world, pièce électroacoustique
Durée : 6’30
Année de composition : 2021
Création : 21 août 2021, Festival Futura, Crest, par Jonathan Prager (interprète acousmatique)
Commanditaire : Compagnie Motus
Enregistrement : Studio Magic O Studio, Troyes
Interprètes de l’enregistrement : Michel Risse de la Compagnie Décor Sonore et Marie-Hélène Grimigni
Diffusion : 1er septembre 2023, SoundCloud – Laurence White (Bouckaert)
L'œuvre électroacoustique A man in his world composée par Laurence White (Bouckaert) est qualifiée par la compositrice de « récitatif accompagné radiophonique ». Le type d'écriture et les différents sons utilisés nous rappellent l'art radiophonique, des œuvres sonores créées uniquement pour être diffusées à la radio.
Dans cette pièce, les sons sont travaillés pour reproduire la perception sonore humaine. Grâce à la spatialisation binaurale, les sons tournent, passent de droite à gauche et nous immergent totalement dans l'univers créé par la compositrice.
La première partie de A man in his world est construite à partir de différentes couches de sons qui se superposent les unes aux autres. On y entend des sons qui n'ont pas de hauteur déterminée : sons graves et répétés, craquements, impacts, cliquetis…, ainsi que des sirènes plus ou moins aiguës qui vibrent à différentes vitesses.
La seconde partie (à 3’40) fait entendre l'enregistrement d'une voix, d'où le terme de « récitatif » utilisé par la compositrice. Cette voix déclame un texte de William Burroughs expliquant la technique du cut-up, c'est à dire la possibilité de pouvoir créer des illusions sonores par le découpage et le collage d'extraits de textes de différentes natures. On peut, grâce à cette technique, créer des mots, des phrases - et donc, du sens - avec n'importe quel enregistrement sonore.
Pour la compositrice, cette technique créé une toute nouvelle forme de communication, qu'elle imagine possible « dans un monde fou qui aurait perdu la tête, et les mots ».
Née à Colmar, Laurence White (Bouckaert) est pianiste de formation. Elle poursuit ses études au Conservatoire de Strasbourg et se forme à la musique électroacoustique à Boulogne-Billancourt. Elle complète sa formation universitaire à Lille, à Strabsourg auprès du compositeur François-Bernard Mâche qui a été révélateur dans son travail, et à l'Université de Paris-Sorbonne. Elle soutient deux mémoires sur l'évolution de la musique électroacoustique : La production de la musique concrète à Paris de 1948 à la fondation du GRM en 1958 et Influences techniques et mode de composition dans le répertoire de l’Ina-GRM de 1960 à 1975, et obtient un Diplôme d'études approfondies (DEA) de musique et musicologie du XXème siècle. Les sources d'inspiration de Laurence White (Bouckaert) sont multiples et touchent à des formes artistiques diverses et hybrides. Ses créations s'enrichissent de nouvelles expériences avec la danse, le multimédia, la sculpture, la poésie, la voix, le théâtre ou encore la vidéo. Son répertoire s’étend ainsi du ciné-concert à la réinvention permanente de la forme concert, mêlant l’image et le travail de la scène.
Toujours en quête de nouveautés dans sa pratique et ses recherches, Laurence White (Bouckaert) co-fonde en 1997 le collectif Phonogénistes qui l'ouvre sur le champ des musiques improvisées et du jeu sonore en temps réel. Elle participe aussi en 2012 à la création du collectif ONE, actif dans l'innovation de la lutherie. Ces activités lui ouvrent des opportunités dans sa pratique d'improvisatrice qu'elle partage avec de nombreux·euses artistes, mais aussi dans sa pratique de compositrice notamment dans la création de A man in his world, où elle utilise le Karlax, instrument numérique multimédia innovant de maîtrise du son par des gestes.
Laurence White (Bouckaert) est par ailleurs professeure de composition électroacoustique au Conservatoire de Bordeaux.