Au cours de ses dix-sept premières éditions, le succès du Grand Prix Lycéen des Compositeurs ne s’est jamais démenti, et chaque année, dès l’automne, chaque classe inscrite se lance dans la découverte passionnante, parfois dérangeante, de mondes sonores méconnus.
On a pu comparer ce Prix au Goncourt des Lycéens mais il est bien plus que cela. Si tout lycéen sait a priori ce qu’est un roman, les musiques qu’il va découvrir à cette occasion sont, au sens le plus étymologique, inouïes. Ces lycéens ont de la chance. Il ne manque pas d’adultes, même assez cultivés, totalement ignorants de tout le mouvement musical contemporain. Les élèves qui auront participé au Prix n’auront pas ces ignorances. Mieux, ils éprouvent chaque année de réels enthousiasmes. Les professeurs qui guident les lycéens et les compositeurs qui viennent à la rencontre des classes peuvent en témoigner, la découverte des œuvres cause des surprises, des prises de position, des bravos et des « non, merci » mais surtout, elle affûte l’ouïe. Là où des musiques trop connues ou trop prévisibles peuvent être perçues superficiellement, les musiques en jeu dans le Grand Prix Lycéen des Compositeurs doivent être entendues et écoutées (vraiment écoutées) naïvement PUIS de manière analytique. Et dans leur grande diversité, les musiques que propose le Grand Prix Lycéen des Compositeurs sont susceptibles d’ouvrir les oreilles. Et au-delà, l’esprit. Ce sont des musiques de questionnement. Pourquoi Édith Canat de Chizy emprunte-t-elle son titre à René Char ? Pourquoi Aurélien Dumont cite-t-il Jean-Philippe Rameau ? Quel rapport Francesco Filidei entretient-il avec Puccini dont la musique ressemble si peu à la sienne ? Comment Philippe Hurel traite-t-il le texte de Cantus ? Comment Philippe Leroux intègre-t-il la musique de Guillaume de Machaut à la sienne ? En écrivant un concerto, Baptiste Trotignon entend-il faire revivre une forme ancienne ? Que de questions !
L’essentiel est que l’audition permette aux élèves d’aller plus loin dans la découverte des sons inattendus d’un art en perpétuel renouvellement.
Jacques Bonnaure
Le Comité de sélection du 18ème Grand Prix Lycéen des Compositeurs s'est réuni le mercredi 15 septembre 2016 dans les locaux de Musique Nouvelle en Liberté; il était composé de :
Textes de Jacques Bonnaure
Œuvre sélectionnée : Different Spaces, concerto pour piano et orchestre - 1er mouvement "Moderato tranquillo"
Durée : 12'21
Année de composition : 2012
Création : novembre 2012
Interprètes : Nicholas Angelich (piano), Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, direction Paul Daniel
Disque : Different Spaces
Label : CD Naïve (V5382)
Plage : n°1
Partition : Éditions Durand (cliquer ici pour consulter la partition)
Avec le soutien de la Fondation BNP Paribas
Surtout connu comme pianiste de jazz, Baptiste Trotignon a souhaité faire un écart par rapport à son champ d’action habituel en composant un concerto, forme traditionnelle ayant « pignon sur rue », comme s’il voulait se confronter aux formes et à la syntaxe de la tradition classique, les « maîtres européens, compositeurs et créateurs d’univers qui (l)’ont nourri, inspiré et fait rêver, …une façon de (s)e sentir proche d’eux, de marcher avec eux, d’apprendre à parler la même langue ». Le compositeur remarque d’ailleurs que Different Spaces est né de la rencontre du compositeur et de son interprète, Nicholas Angelich. Le titre se réfère au compositeur « minimaliste » américain Steve Reich (auteur de Different Trains), dont l’influence est d’emblée repérable (mais elle n’est pas la seule, on pourrait y entendre aussi des influences d’Europe orientale, et de discrets saluts à la tradition debussyste). Il en ressort une structure en deux fois deux mouvements (comme dans le Quatrième Concerto de Saint-Saëns !), clairement lisible, et incontestablement séduisante. |
Après avoir essayé le violon, Baptiste Trotignon se dirige naturellement vers le piano. Il rejoint le Conservatoire de Nantes à neuf ans, où il obtient des Prix de piano et d’écriture. Il découvre le jazz en autodidacte et interprète le rôle de Rydell, un jeune pianiste de jazz, dans le film Le Nouveau Monde réalisé par Alain Corneau en 1995.
En 1998, il monte son trio avec Clovis Nicolas à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie, avec lesquels il sortira son premier album Fluide en juin 2000, qui remportera le Djangodor de l'Espoir pour un premier disque.
En octobre 2002, il obtient le Grand Prix de la Ville de Paris du Concours International Martial Solal, et quelques mois plus tard, il est lauréat du Prix Révélation française de l’année aux Victoires du Jazz 2003. C'est cette même année que sort son premier disque solo. Son second album solo, Solo II, sort en 2005, et sera réédité en 2008 accompagné d'un concert solo à la Salle Pleyel.
Tout en multipliant les rencontres (concerts avec Tom Harrell, Brad Mehldau ou Nicholas Angelich ; Rhapsody in blue de George Gershwin avec l'Orchestre Lamoureux ; musique de film pour le Sartre de Claude Goretta...), il collabore avec David El Malek à un quartet bicéphale, accompagné par Daryl Hall et Dré Pallemaerts.
Son Concerto pour piano Different Spaces, sa première pièce d’envergure, totalement écrite et sans improvisation, lui a valu une nomination aux Victoires de la Musique classique 2014 comme Compositeur de l’année. Il a également composé diverses œuvres de musique de chambre et pour piano.
Œuvre sélectionnée : Pierre d’éclair, pour orchestre
Durée : 10’41
Année de composition : 2011
Création : 31 mars 2011
Interprète : Orchestre National de Lyon, direction Ilan Volkov
Disque : Over the sea
Label : CD Solstice (SOCD 312)
Plage : n°1
Partition : Éditions Henry Lemoine
Commande de l’Orchestre National de Lyon
Avec le soutien de MFA, Spedidam, Orchestre National de Lyon, Radio France et Éditions Henry Lemoine.
Le titre, emprunté à un poème de René Char Tu seras pierre d’éclair (Aromates chasseurs), suggère une opposition entre le minéral et le lumineux, le statique et le fulgurant, mais aussi une possible fusion entre des principes contraires, qui peuvent trouver un équivalent dans la texture de l’orchestre (il n’est pas indifférent que sur le même disque figurent d’autres œuvres inspirées par la même idée de mouvement et de transformation, de la métabole pour reprendre un titre célèbre de Dutilleux). L’écriture d’Édith Canat de Chizy, très finement ciselée, jouant sur l’invention des alliages sonores, est aussi fortement structurée en cinq sections successives logiquement enchaînées. Mais il ne s’agit pas seulement d’un jeu formel car l’interrogation du poète « Comment vivre sans inconnu devant soi ? » pourrait être également la devise de tout créateur qui dévoile à chaque œuvre nouvelle des territoires sonores inconnus. Pour autant, la musique d’Édith Canat de Chizy, toujours inventive, se nourrit aussi de sa généalogie et s’inscrit dans un brillant courant symphonique français qui aura traversé le XXe siècle et se poursuit avec elle.
Après avoir suivi des études d’Art et d’Archéologie et de Philosophie à la Sorbonne, Édith Canat de Chizy obtient successivement six premiers prix au CNSMD de Paris, dont celui de composition, et s’initie à l’électroacoustique au sein du Groupe de Recherches Musicales. Élève d’Ivo Malec, elle fait en 1983 la rencontre décisive de Maurice Ohana, à qui elle consacrera une monographie en 2005 aux Éditions Fayard.
Dans l’œuvre de cette violoniste de formation, qui comporte à ce jour plus d’une centaine d’opus, la musique concertante occupe une place de choix et les cordes y sont prédominantes. Elle a reçu de nombreuses commandes d'État, d'orchestres et d'ensembles spécialisés.
Elle a été plusieurs fois en résidence, notamment à l’Arsenal de Metz, auprès de l’Orchestre National de Lyon et au Festival de Besançon où sa pièce pour grand orchestre Times a été imposée à la finale du Concours International des Jeunes Chefs d’Orchestre 2009, et créée par le BBC Symphony Orchestra.
De nombreuses distinctions sont venues couronner son œuvre. Élue à l’Académie des Beaux-Arts en 2005, qu'elle préside en 2016, Édith Canat de Chizy est la première femme compositeur membre de l’Institut de France. Après avoir dirigé le Conservatoire du XVème arrondissement et celui du VIIème arrondissement de Paris, elle a enseigné la composition au CRR de Paris jusqu’en 2017.
Elle reçoit en 2016 le Grand Prix du Président de la République de l’Académie Charles Cros pour l’ensemble de son œuvre.
Site de la compositrice : http://edithcanatdechizy.fr/
Œuvre sélectionnée : Eglog, trio pastoral pour violon baroque, clavecin et harpe
Durée : 12’29
Année de composition : 2011
Création : 18 juin 2011
Interprètes : Trio Dauphine : Maud Giguet (violon), Marie van Rhijn (clavecin), Clara Izambert (harpe)
Disque : While
Label : CD NoMadMusic (NMM023)
Plage : n°2
Partition : inédit
Avec le soutien de l'Université Paris Sciences et Lettres, Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Ircam, Grame, Gmem, Fondation culturelle San Fedele de Milan.
Les Grecs de l’Antiquité ont transmis le goût de l’Eglogue, genre poétique pastoral, aux Romains (on connaît les Bucoliques de Virgile) et l’influence s’en fera encore sentir dans la poésie précieuse française (« Sont-ce encore des bergers ! », se plaignait M. Jourdain). Le texte de Dominique Quélen, dit par les trois instrumentistes, évoque précisément cet univers simple et paisible. La présence d’instruments « baroques », la citation de L’Indiscrète de Jean-Philippe Rameau et de l’Hommage à Rameau de Debussy (« objet esthétiquement modifié ») sur laquelle s’ouvre la pièce sont un équivalent sonore ambigu du texte, lui-même distancié par rapport aux codes courants de la poésie bucolique. En effet, il ne s’agit pas de pasticher la musique du Siècle des Lumières mais de l’évoquer, notamment par les timbres des instruments, tout en conservant la distance qui nous en sépare, et de la perturber par des éléments qui démontent l’évidence de son discours et jouent avec elle.
Né à Marcq-en-Baroeul, Aurélien Dumont est docteur en composition musicale, diplomé de l’École Normale Supérieure de Paris et du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris. Il à également étudié la composition et l’informatique musicale à l’Ircam.
Sa musique, qui surgit par mises en tension d’objets pensés en briques de langages, interroge la notion d’altérité comme une manière possible d’appréhender la complexité de notre monde contemporain. Nourrit par de nombreuses références littéraire, il partage entre Paris et Tokyo et s’inspire également de la culture et de l’instrumentarium traditionnel japonais.
Lauréat de nombreux prix, il a été pensionnaire à la Villa Médicis en 2017-2018. Passionné par la sensibilisation et par la transmission, Aurélien Dumont est régulièrement dans le cadre de master-class ou de résidences. Il enseigne la composition au Conservatoire à Rayonnement Régional de Créteil depuis 2019, à l’Académie Voix Nouvelles de Royaumont en 2021 et dans la nouvelle académie de composition du Festival de Cordes-sur-Ciel en 2022.
Œuvre sélectionnée : Puccini alla caccia, pour huit joueurs d’appeaux
Durée : 6'45
Année de composition : 2006
Création : 28 novembre 2008 à Paris
Interprète : Ensemble 2e2m, direction Pierre Roullier
Disque : Forse
Label : CD L'Empreinte digitale (ED 13247)
Plage : n°20
Partition : inédite
Avec le soutien de l'Adami et du FCM
Giacomo Puccini (vous avez bien lu, il s’agit bien du célébrissime compositeur de La Bohème et de Tosca …) était un grand chasseur et affirmait qu’après le piano, son instrument favori était…le fusil. À partir de cette donnée historique, anecdotique et biographique, Francesco Filidei imagine tout un univers sonore mais aussi quelque chose comme un récit. L’histoire se passerait près de Torre del Lago, là où Puccini composait et chassait. Détonations diverses, secousses, tubes en vibration, explosions, les appeaux à canards et poules d’eau se mettent en jeu dans une structure sonore de plus en plus complexe, le tout sans utiliser un seul instrument traditionnel. Au moment où il composait Madame Butterfly, Puccini écrivait à son éditeur « Si samedi j’ai fini je cours terroriser mes palmipèdes adorés qui, autrefois, craignaient mon plomb mortel et infaillible. Boum ! ». Outre la dédicace au compositeur Gérard Pesson, ce boum s’entend dans la musique, où passe aussi une réminiscence presque subliminale au début, explicite à la fin, de l’air Un bel di vedremo de Butterfly. Pièce concrète, narrative, inventive, Puccini alla caccia prouve que toute situation sonore peut féconder l’imagination. Dédié à Gérard Pesson Partition mise à disposition avec l’aimable autorisation des Edizioni Musicali Rai Com |
Francesco Filidei est diplômé du conservatoire Luigi Cherubini à Florence où il remporte les premiers prix à l’unanimité d’orgue et du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où il obtient un prix de composition avec mention « très bien » en 2005. Parallèlement, il participe au cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam en 2001-2002 – où il suit l’enseignement de Philippe Leroux – et à la session de composition « Voix nouvelles » à Royaumont en 2004.
Ses œuvres, qui couvrent l’ensemble des genres musicaux, lui ont valu de nombreux prix de la part d’institutions culturelles internationales (entre autres les prix UNESCO, Siemens, de la Ville de Salzburg et de la Critique italienne) et sont interprétées par la plupart des meilleures formations spécialisées dans la musique d’aujourd’hui et par de nombreux orchestres.
Francesco Filidei est compositeur en résidence à l’Académie Schloss Solitude à Stuttgart en 2006, membre de la Casa de Velázquez à Madrid en 2007 pour deux ans, pensionnaire à la villa Médicis en 2012 et boursier du DAAD de Berlin en 2015.
En 2010, il est nommé professeur de composition au festival « Voix Nouvelles » de Royaumont. En 2011, il est professeur invité à l'Université d'Iowa et à l'Académie Takefu. Ensuite, il enseigne à l’International young composer Academy in Tchaikovsky City et aux Internationale Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt. En 2016, il est nommé Chevalier Des Arts et Des Lettres par le Ministère de la Culture. Ses œuvres sont éditées par Rai Trade.
Œuvre sélectionnée : Cantus. Hommage à Georges Pérec, pour soprano, flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussion et piano
Durée : 8’12
Année de composition : 2006
Création : 11 octobre 2006 au Festival Musica
Interprètes : Elise Chauvin (soprano), Ensemble Court-Circuit, direction Jean Deroyer
Disque : Traits
Label : CD Motus (215009)
Plage : n°4 jusqu'à 8'12
Partition : Éditions Henry Lemoine
Avec le soutien de MFA, FCM et La Muse en Circuit
« Utiliser la voix implique souvent l'utilisation d'un texte. Et l'on sait que le compositeur, pour se l'approprier, le maltraite au risque de le rendre incompréhensible. Il reste alors — et ce n'est pas rien — l'influence de sa structure sur la forme musicale. Pour ma part, je n'ai pas souhaité me livrer à un travail de « réorganisation » d'un texte préexistant que je craignais de trop malmener.
Dans cette pièce, la partie vocale n'a donc pas été écrite à partir d'un texte. Elle est extraite de polyphonies à caractère instrumental, canons rythmiques organisés à partir d'un cantus firmus simple et repérable. La partie vocale est, selon la situation, le cantus firmus lui-même ou bien l'une des parties, en imitation ou en canon, extraite de la polyphonie. J'ai donc écrit le texte a posteriori, en fonction de la ligne mélodique obtenue.
La chanteuse est ici en observatrice. Elle décrit de manière « topologique » les transformations, les dérives de la musique qui est en train de se dérouler. Le texte est une sorte de « mode d'emploi » (écrit après la composition) dont le caractère poétique ne se dégage que lorsqu'il est chanté et que la pièce est réellement jouée. »
Philippe Hurel, 2006
Philippe Hurel étudie la musicologie à l'Université de Toulouse, puis entre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Il participe aux travaux de recherche musicale à l’Ircam en 1985-1986 et 1988-1989. De 1986 à 1988, il est pensionnaire à la Villa Médicis (Académie de France à Rome). En 1995, il reçoit le prix de la Fondation Siemens à Munich pour Six Miniatures en Trompe-l'œil.
En 1991, il fonde et assure la direction artistique de l'Ensemble Court-Circuit, placé sous la direction musicale de Pierre-André Valade. De 1997 à 2001, il est professeur de composition à l'Ircam dans le cadre du Cursus d'Informatique Musicale. Il est en résidence à l'Arsenal de Metz et à la Philharmonie de Lorraine de 2000 à 2002. Il reçoit les Prix Sacem des compositeurs en 2002 et de la meilleure création de l’année en 2003 pour Aura.
Ses œuvres, éditées par Gérard Billaudot et Henry Lemoine, ont été interprétées par de nombreux ensembles et orchestres sous la direction de chefs tels que Pierre Boulez, David Robertson, Jonathan Nott, Esa-Pekka Salonen, Reinbert de Leeuw, Bernard Kontarsky, Stefan Asbury, Kent Nagano, Peter Eötvös, Markus Stenz, Ed Spanjaard et Pierre-André Valade avec lequel il travaille régulièrement.
Depuis 2010, il a initié la composition d’un cycle intitulé Tour à Tour dont les trois volets ont été donnés en 2015 lors du festival Manifeste de l’Ircam.
Œuvre sélectionnée : Quid sit Musicus ?, pour solistes vocaux, guitare, luth, violoncelle et vièle
Durée : 9'26
Année de composition : 2013-2014
Création : 18 juin 2014
Interprètes : Ensemble Solistes XXI, direction Rachid Safir / réalisation informatique musicale Ircam : Gilbert Nouno
Disque : Quid sit Musicus ?
Label : CD Soupir éditions (S208)
Plages : n°6 à 9 incluses
Partition : Gérard Billaudot Éditeur
Avec le soutien de MFA, Ircam et Gérard Billaudot Éditeur
La question posée par le philosophe Boèce au VIe siècle « Qu’est-ce que le musicien ? » a toujours été actuelle mais, au cours des siècles passés, avait été tranchée par la spécialisation. On était concepteur ou réalisateur, compositeur ou interprète. Les conditions de production de la musique d’aujourd’hui ont redonné vigueur au vieux questionnement.
Dans la musique électro-acoustique, le compositeur n’est pas distinct de l’interprète et l’importance donnée à la perception met l’auditeur au centre de l’acte de composition. Dans Quid sit Musicus ?, Philippe Leroux part de compositions du XIVe siècle (Guillaume de Machaut et Jacob de Senlèches, moins connu que le précédent et caractéristique de l’ars subtilior) dont l’écriture même, au sens graphique, engendre, grâce à l’utilisation d’un stylo bluetooth, la production de sons électro-acoustiques dérivés et directement liés à l’œuvre médiévale ainsi que des profils mélodiques instrumentaux. Celle-ci sera d’ailleurs repérable sous sa forme originale, incluse dans la trame du discours, confrontée à un travail identique engendré cette fois par Cinq poèmes de Jean Grosjean.
Synthèse du passé et du présent tissés en tresse, Quid sit Musicus ? peut être considérée comme une variation sur le thème de la continuité. Celle de l’histoire, celle de la structure de l’œuvre.
Découvrez les coulisses de la création de Quid sit Musicus ? grâce à cette vidéo.
Philippe Leroux est né à Boulogne-sur-Seine. En 1978, il entre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans les classes d’Ivo Malec, Claude Ballif, Pierre Schaeffer et Guy Reibel où il obtient trois premiers prix. Durant cette période, il étudie également avec Olivier Messiaen, Franco Donatoni, Betsy Jolas, Jean-Claude Eloy et Iannis Xenakis.
En 1993, il est nommé pensionnaire à la Villa Médicis (prix de Rome) où il séjourne jusqu’en octobre 1995.
La musique de Philippe Leroux, toujours très vivante et souvent pleine de surprises, est marquée par un usage original de gestes sonores frappants qui s’organisent en un riche réseau relationnel.
Il est l’auteur de plus de quatre-vingts œuvres symphoniques, vocales, avec dispositifs électroniques, musique de chambre et acousmatiques. Ses œuvres sont jouées et diffusées dans de nombreux pays. Il a reçu de nombreux prix.
Son disque Quid sit Musicus ? reçoit le Grand Prix du Disque 2015 décerné par l’Académie Charles Cros. Il a publié plusieurs articles sur la musique contemporaine et donné des conférences et cours de composition dans de nombreux pays, en Europe et dans les deux Amériques. De 2007 à 2009, il a été en résidence à l’Arsenal de Metz et à l’Orchestre National de Lorraine, puis de 2009 à 2011, professeur invité à l’Université de Montréal. Depuis septembre 2011, il est professeur agrégé de composition à la Schulich School of Music à l’université McGill, où il dirige également le Digital Composition Studio. Il est actuellement en résidence à l’ensemble MEITAR à Tel-Aviv.