On ne le répétera jamais assez, la musique contemporaine est extraordinairement plurielle, et l’on ne saurait parler de langage commun ni de style de génération. Nourris d’influences multiples, les compositeurs font un miel singulier, parfois déroutant (en fait, il n’y a plus guère de route !). Le temps est désormais bien loin où certains pouvaient affirmer que ceux qui n’avaient pas ressenti la nécessité de telle influence particulière étaient inutiles. Les six œuvres sélectionnées pour l’édition 2014 du Grand Prix Lycéen des Compositeurs, et c’est très heureux ainsi, adoptent six voies différentes dont nulle n’est semblable à aucune autre. Une convergence s’affirme cependant – elle est fortuite et l’on ne saurait en tirer une loi historique — c’est l’importance accordée à l’écoute de musiques éloignées du centre européen, musiques du Vietnam chez Nguyen Thien Dao, musiques populaires du Brésil chez Thierry Pécou. Chez Oscar Strasnoy, le cas est différent. Ce n’est pas la musique argentine qui est convoquée mais une mise à distance de la tradition classique, typique de la culture argentine — que l’on pense à Mauricio Kagel. Les références des trois autres œuvres sont plus proches…de chez nous. Chez Tanguy, l’on ressent la filiation des orchestrateurs français ; chez Lenot une rigueur d’écriture et une gravité de ton qui n’a pas oublié la tradition sérielle ; chez Robin enfin, une conception très originale de l’ensemble instrumental, qui concurrencerait la musique acousmatique en développant des masses sonores en mouvement, et en dépassant les paramètres classiques d’harmonie et de rythme. La musique est l’art des sons. Cette fameuse définition du dictionnaire Larousse, parfois jugée simpliste n’a jamais été aussi vraie qu’à l’époque moderne. Le son sous toutes ses formes, dans tous ses développements, le son qui en voit de toutes les couleurs, pourrait-on dire. C’est cette découverte toujours renouvelée, hors de tous les sentiers sonores battus, que le Grand Prix Lycéen des Compositeurs renouvelle chaque année.
Jacques Bonnaure
Le Comité de sélection du 15ème Grand Prix Lycéen des Compositeurs s'est réuni le 11 septembre 2013 ; il était composé de :
Textes de Jacques Bonnaure
Œuvre sélectionnée : Évocations, pour violoncelle et piano
Durée : 9'48
Année de composition : 2010
Création : 1er juillet 2010 à Reims, Grand Théâtre, dans le cadre du festival Les Flâneries Musicales de Reims, par Anne Gastinel (violoncelle) et Claire Désert (piano)
Interprètes : Anne Gastinel, violoncelle / Claire Désert, piano
Disque : In Terra Pace
Label : TransArt Live (TR172)
Plage : n° 2
Partition : Éditions Durand-Salabert-Eschig
Évocations a été créé par Anne Gastinel et Claire Désert en 2010. On sait qu’Éric Tanguy entretient avec le violoncelle un rapport particulièrement étroit (il a composé trois concertos pour violoncelle, respectivement destinés à Marc Coppey, Mstislav Rostropovitch et Anne Gastinel, et de nombreuses pièces de musique de chambre incluant cet instrument). Dès le début, le caractère lyrique de la pièce est marqué par quelques signes caractéristiques, développements mélodiques du violoncelle polarisés autour de quelques notes assurant une parfaite structuration de la perception, brefs motifs répétitifs et obsédants du piano. Le plan de l’œuvre, parfaitement perceptible oppose une introduction lente et mystérieuse à un mouvement globalement plus agité, de caractère rhapsodique, ménageant cependant des plages plus apaisées, débouchant, après une sorte de cadence du violoncelle, sur une conclusion sereine.
Éric Tanguy jouit d’une grande notoriété, acquise au cours d’un parcours dont les jalons essentiels ont été, entre 1985 et 1988, l’enseignement d’Horatiu Radulescu puis, jusqu’en 1991, celui d’Ivo Malec et de Gérard Grisey au Conservatoire de Paris, marqué par un Premier Prix de composition. Mstislav Rostropovitch le tenait en estime : en 2001, il a créé son Deuxième concerto pour violoncelle aux Flâneries Musicales de Reims puis l’a repris, en 2002, à Boston et au Carnegie Hall de New York avec Seiji Ozawa et le Boston Symphony Orchestra. En 2004, son monodrame pour récitant et orchestre, Sénèque, dernier jour, a été créé à Paris par le comédien Michel Blanc et l’Orchestre de Bretagne. Il a été désigné comme « compositeur de l’année » aux Victoires de la Musique Classique 2008 (et 2004). En 2007, il a été le compositeur invité de la 25e édition du Festival "Aspects des Musiques d'Aujourd'hui" à Caen. Cette même année, Anne Gastinel a créé, à nouveau aux Flâneries musicales de Reims, In Terra Pace en hommage à Mstislav Rostropovitch, avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Michel Plasson. En octobre 2013 sera créé au Grand Théâtre de Luxembourg son premier opéra, Photo d'un enfant avec une trompette.
Marqué par d’importantes commandes et joué dans les plus grands festivals et institutions à travers le monde, le catalogue d’Éric Tanguy comprend environ quatre-vingts œuvres (du solo et de la musique de chambre, jusqu’aux concertos, aux pièces vocales et aux œuvres symphoniques) qui figurent aujourd’hui au répertoire des interprètes majeurs de notre temps.
Œuvre sélectionnée : Suoi Tranh, pour un ensemble de six cithares vietnamiennes
Durée : 7'05
Année de composition : 2010
Création : 17 septembre 2011 à Kunming (Chine) par l'Ensemble Suoi Tranh sous la direction du compositeur
Interprètes : Ensemble Suoi Tranh, direction Nguyen Thien Dao
Disque : Dat Troi
Label : Sismal Records (SR008)
Plage : n° 8
Partition : Éditions Jobert
Avec le soutien de MFA, Fondation Francis et Mica Salabert, Éditions Jobert et Union générale des Vietnamiens de France
A première audition, le timbre de l’ensemble et la couleur générale, certaines brèves courbes mélodiques évoquent immédiatement l’Asie mais rien n’est moins folklorique que la musique de Nguyen Thien Dao. Suoi Tranh est une étude de virtuosité instrumentale et un exercice de polyphonie. Pas seulement de polyphonie de lignes mélodiques mais aussi de modes d’attaque et de couleurs, les cithares sonnant très différemment dans les divers registres, des aigus immatériels aux graves percussifs. La modernité de Suoi Tranh réside dans l’imagination créatrice qu’a suscitée l’instrument chez le compositeur. Certes, le caractère vietnamien de la pièce est patent mais il est possible que la mémoire de Dao lui ait ainsi rappelé des sons anciens qu’il véhicule, il se fond parfaitement avec un souci contemporain de la forme et du travail de la matière sonore.
Nguyen Thien Dao arrive en France à l’âge de treize ans. Il effectue ses études au Conservatoire de Paris, et devient l’élève d’Olivier Messiaen, dont l’esthétique, elle-même souvent fécondée par les musiques asiatiques, le séduira. Son imagination, remplie des souvenirs des sons et des images du Vietnam, lui suggère une musique née au croisement de deux civilisations, pleinement asiatique mais aussi pleinement ancrée dans les courants d’une musique contemporaine occidentale alors en pleine effervescence. Les œuvres de Nguyen Thien Dao utilisent les micro-intervalles, reprennent à Messiaen le concept de « timbres-couleurs » et les rythmes complexes mais le compositeur met ces éléments techniques innovants au service d’une création lyrique, parfois même épique. Dès la fin des années soixante, il est considéré comme une des personnalités marquantes de l’avant-garde musicale, après la création de Tuyen Lua au Festival de Royan. Sa production, fort abondante, aborde tous les genres, de la musique de chambre à la musique symphonique et à l’opéra de chambre (Quatre lyriques de ciel et terre, La Mer pétrifiée…) ou à l’opéra-oratorio (Les Enfants d’Izieu). Plus récemment, il a composé pour des instruments traditionnels vietnamiens.
Œuvre sélectionnée : Chiaroscuro, pour piano et 24 instruments
Durée : 9' 45 (3ème mouvement)
Année de composition : 2010
Création : 4 novembre 2010 à Paris, en l'Église Saint-Merri, par Winston Choi (piano) et l'Ensemble Multilatérale sous la direction de Jean Deroyer
Enregistrement : les 4, 5 et 6 novembre 2010 à Paris, Espace de Projection de l'Ircam
Interprètes : Winston Choi, piano / Ensemble Multilatérale, direction Jean Deroyer
Disque : Chiaroscuro
Label :Intrada (INTRA052)
Plage : plage n° 3
Partition : L'Oiseau Prophète Éditeur
Chiaroscuro emprunte son titre à un célèbre genre pictural oxymorique. Le clair-obscur évoque plutôt Le Caravage ou Le Nain, mais ici Lenot s’est interrogé, de son propre aveu, sur la démarche du peintre abstrait américain d’origine lettone Mark Rothko (1903-1970) dont la palette s’est assombrie jusqu’à atteindre le noir absolu. Il est certes malaisé de comparer les arts mais dans Chiaroscuro, la palette de Lenot explore les demi-teintes, s’étend sur de longues plages étales où le dynamisme sonore semble éteint, puis se contracte tout à coup en brèves convulsions. Ces mouvements immobiles, ces développements indéterminés sont cependant très lisibles pour l’auditeur qui ne perd jamais le fil de la composition grâce à des motifs brefs et bien cernés qui apparaissent au piano solo ou dans le tissu orchestral. L’œuvre, originellement conçue pour piano et 12 instruments (2004) a été remaniée pour piano et orchestre (2008). La version enregistrée ici, pour piano et 24 instruments a été créée en 2010 (plage 3).
Jacques Lenot revendique un parcours atypique. Autodidacte (même si sa route a croisé celles de Karlheinz Stockhausen, György Ligeti et Mauricio Kagel à Darmstadt, de Sylvano Bussotti à Rome, de Franco Donatoni à Sienne); dévoué au seul processus créateur (« ni instrumentiste ni chef d’orchestre »); indépendant des institutions musicales (son seul poste officiel a été — brièvement — celui d’instituteur). Depuis la création très remarquée, en 1967, de sa première œuvre d’orchestre au Festival de Royan — proposée par Olivier Messiaen — il impose une écriture complexe, tourmentée, très pointilleuse dans le détail de la nuance, de l’attaque, du rythme, d’origine sérielle. Il essaie d’élargir ce système à un univers qui lui est propre. La virtuosité instrumentale y tient un rôle central et, de plus en plus, Jacques Lenot collabore avec les créateurs de sa musique pour en repousser encore les frontières. Pourtant, quel que soit leur degré d’abstraction, ses œuvres dévoilent un univers poétique d’une rare intensité. Il a réalisé un important corpus pianistique que Winston Choi (lauréat du Concours International d’Orléans 2002) a enregistré intégralement pour Intrada. Parmi ses œuvres les plus récentes, on compte Effigies pour piano (2012), D’autres Murmures pour trompette et grand orchestre (2013), Ardendo pour violon (2013), Isis & Osiris pour environnement électronique et septuor instrumental à vent (2014), et le Quatuor à cordes n° 7.
Œuvre sélectionnée : Tremendum, concerto-carnaval pour piano, flûte, saxophone, violoncelle et cinq percussions
Durée : 11' 35
Année de composition : 2005-2010
Création : 19 novembre 2005 au Havre
Enregistrement : du 11 au 14 janvier 2012 à Paris, Maison de Radio France - Studio 107.
Interprètes : Ensemble Variances : Thierry Pécou, piano / Anne Cartel, flûte / Nicolas Prost, saxophone / Davis Louwerse, violoncelle
Percussions Claviers de Lyon : Raphaël Aggery, Sylvie Aubelle, Jérémy Daillet, Gilles Dumoulin et Gérard Lecointe
Disque : Tremendum
Label : Harmonia Mundi (HMC 905269)
Plage : n° 1 jusqu'à 11'35
Partition : Éditions Schott
Tremendum est sous-titré « concerto-carnaval » pour piano. Le seul sous-titre évoque des pièces colorées de musiciens sud-américains ou de Darius Milhaud. Et de fait, après une introduction mystérieuse où le piano se fait presque lyrique, le carnaval est là avec ses rythmes anguleux et lancinants et ses vives couleurs. Toutefois, aucune référence directe au folklore brésilien, car le compositeur ne connaît pas le Brésil et a imaginé une palette sonore évocatrice plutôt que de se référer précisément à la tradition du pays. La première version, créée en 2005 était un concerto pour piano et orchestre. Dans cette seconde version (2010), la partie orchestrale a été réduite à une flûte, un saxophone et cinq percussions, ce qui permet d’accentuer l’aspect percussif et nerveux de la partie « orchestrale ». Mais Tremendum n’est pas seulement un délire rythmique ; de nombreux passages sont sobres, introvertis et mystérieux, sombres. La battucada y voisine avec des passages presque recueillis et le discours musical, jamais prévisible et toujours mouvant, se relance sans cesse dans des directions inattendues.
Thierry Pécou, suit le cursus classique du compositeur en France (piano dès 9 ans, puis au Conservatoire de Paris, orchestration et composition, en 1987 et 1988) ; il a fondé en 1998, l'Ensemble Zellig (solistes instrumentaux et vocaux) qu'il dirige pour ses propres compositions. Sa première œuvre significative est le Stabat Mater (1990). Il pratique usuellement le piano. Son style est qualifié de moderniste-synthétique-coloriste. Pour se faire connaître, il a choisi le « terrain », c'est-à-dire la proximité avec les régions françaises, à l'occasion de festivals, et la collaboration active avec les jeunes artistes (musiciens, comédiens, danseurs) ; les cultures musicales extra-européennes (Mexique, Brésil) sont sources d'inspiration dans son propre langage qui recherche les combinaisons de sons inouïs, avec prépondérance d'instruments métalliques et de traditions éloignées les unes des autres (entre autres, le gagaku japonais avec l'organum grégorien) ; sa musique est exigeante, mais curieusement d'accès plutôt facile, à la fois tonale et atonale, rituelle (mais non répétitive), voire jubilatoire.
En 2005, il a été nommé aux Victoires de la Musique classique.
En 2008, la création, à Nanterre, de son opéra Les Sacrifiées sur un texte de Laurent Gaudé, a connu un grand retentissement, de même que L’Amour coupable, créé à Rouen en 2010.
Œuvre sélectionnée : The End (Sum n° 4), pour orchestre
Durée : 9'44
Année de composition : 2006
Création : 6 mars 2007 à Paris, Maison de Radio France - Salle Olivier Messiaen, dans le cadre du Festival Présences 2007, par l'Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Jean Deroyer
Enregistrement : les 14 et 20 janvier 2012 à Paris, Théâtre du Châtelet, dans le cadre du Festival Présences 2012, par l'Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Susanna Mälkki
Interprètes : Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Susanna Mälkki
Disque : Œuvres pour orchestre
Label :Æon/Outhere (AECD 1331)
Plage : n° 1
Partition : Éditions Le Chant du Monde
The End (2006) est la quatrième et dernière d’une série de pièces pour orchestre (Sum n° 1 à 4). Comme son titre l’indique, on commence par la fin…de la Huitième symphonie de Beethoven, une longue coda sur l’accord de fa majeur. Sur le dernier accord viennent se greffer des sons totalement hétérogènes comme une architecture ultramoderne bâtie à côté d’un immeuble haussmannien (la préoccupation urbaniste est d’ailleurs importante pour Strasnoy qui a dit structurer une œuvre « comme on penserait une ville ». Dans The End, même si l’on peut trouver le procédé drôle et dans la lignée de certaines facéties musicales de Mauricio Kagel, autre Argentin célèbre, il ne s’agit pas d’un gag. Les éléments du discours beethovénien reviennent souvent tout au long de l’œuvre, pas forcément sous forme de citation mais plutôt de sous-entendu comme en filigrane, et lui donnent toute sa cohérence ; ils sont opposés à d’autres sonorités d’un extrême raffinement.
Oscar Strasnoy s’est un jour défini comme « un Argentin de Paris ». Mais il ajoutait aussitôt « on pourrait aussi dire que je suis un Parisien né en Argentine. Je viens d’une famille d’immigrés russes installés en Amérique du Sud et, après avoir vécu moi-même dix-huit ans en Argentine, j’ai décidé de partir pour l’Europe. Sinon je suis un compositeur porté sur la littérature, une sorte de musicien littéraire ou de littéraire musicien, c’est selon ». Il a commencé ses études musicales à Buenos Aires, sa ville natale, et les a poursuivies à Paris — où il travaillera avec Michaël Levinas, Gérard Grisey et Guy Reibel — et à Francfort où il sera l’élève de Hans Zender. Cosmopolite de naissance, pourrait-on dire, il a travaillé sur divers continents mais s’est fixé à Paris. Depuis son opéra Midea, plusieurs de ses œuvres les plus importantes sont scéniques et repensent, au-delà du concept traditionnel d’opéra, le rapport entre théâtre et musique. Cependant, il a composé de nombreuses partitions instrumentales ou symphoniques comme le Scherzo dédié à l’Orchestre Philharmonique de Radio France (2006) ou la série des Sum. Il a été le compositeur invité du Festival Présences 2012 avec une rétrospective de ses œuvres en quatorze concerts au Théâtre du Châtelet produit par Les concerts de Radio France.
Œuvre sélectionnée : Art of Metal III, pour clarinette contrebasse métal, ensemble de 18 musiciens et électronique
Durée : 8'15
Année de composition : 2007-2008
Création : 7 juin 2008 à Paris, Centre Pompidou, dans le cadre du Festival Agora, par Alain Billard (clarinette contrebasse métal) et l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de Susanna Mälkki
Interprètes : Alain Billard, clarinette contrebasse métal / Ensemble Intercontemporain, direction Susanna Mälkki
Disque : Vulcano - Art of Metal I, III
Label : Kairos (0013262 KAI)
Plage : n° 3 jusqu'à 8'15
Partition : Éditions Jobert
Avec le soutien de MFA, Commission Européenne DG Éducation et culture Programme «Culture»
Art of Metal III est la dernière pièce d’un cycle consacré à la clarinette contrebasse métal. Les deux premières opposent respectivement l’instrument soliste à un ensemble instrumental (I) et à un dispositif électronique (II). Ici, la clarinette se confronte aux deux partenaires à la fois. La référence au métal est à la fois la clarinette contrebasse étant munie d’un bec métallique qui en renforce la puissance, mais aussi métaphorique, le métal étant associé à la force et à la résistance. Art of Metal III développera donc ce concept de puissance sonore produite par le soliste, l’ensemble instrumental associé au dispositif électronique et l’utilisation de la voix humaine criée. On pourrait même imaginer que cette puissance est celle des machines de l’Ircam où la partie électronique a été conçue, et qui permettent de modifier en temps réel les sons instrumentaux, de les spatialiser, de les analyser. Comme dans d’autres œuvres du compositeur, l’auditeur se trouve immergé dans une matière sonore en fusion d’une grande force dramatique (ce n’est pas pour rien qu’une de ses pièces orchestrales, présente sur ce disque, s’intitule Vulcano).
Il effectue ses études à aux conservatoires d’Aix-en-Provence et de Marseille — où il intègre simultanément la classe de jazz et la classe de composition de Georges Bœuf — puis, après une étape au CNR de la capitale, au Conservatoire de Paris dans les classes de Frédéric Durieux et Michaël Levinas. Il a également travaillé avec Jonathan Harvey et Jean-Luc Hervé, et suivi le cursus informatique de l’Ircam. Dès le début du siècle, sa carrière s’est rapidement développée, il a reçu de nombreuses commandes et été l’invité en résidence de La Muse en circuit et de l’Orchestre National de Lille. Depuis 2005, il est directeur artistique de l’Ensemble Multilatérale, qu’il a fondé. Ses œuvres, destinées à toutes sortes de formations instrumentales et vocales, intègrent parfois la dimension scénique (Ni l’un ni l’autre, pour un couple de danseurs, mezzo-soprano, violoncelle et saxophone). Il s’est également intéressé à la musique acousmatique. Pour lui, la composition « est une manière de travailler le temps ». Comme il le confiait au musicologue Jean-Claire Vançon : « Si j’osais la gageure d’une définition de la musique, je dirais qu’elle n’est rien d’autre que le devenir d’un son dans le temps… ce son permettant, selon sa nature, d’appréhender le temps différemment. L’improvisateur, c’est le compositeur d’un instant. Or j’aime cette idée d’instant, qu’il s’agit de saisir puis de fixer – d’où mon goût pour les peintres impressionnistes. Elaborer cet instant permettra ensuite de lui donner un avenir (ou de l’enrichir d’un passé) : il y gagne la valeur d’un présent (qui, seul, n’existe pas), et contribue à faire émerger la conscience d’un temps, qui ne se mesure que quand il passe, et ne se saisit que de manière relative ».